Titre : Le Baron Rouge Sang
Auteur : Kim Newman
Édition : Bragelonne
Pages : 606
Note : 4.5 / 5
1918. L'Europe est aux mains des vampires. Commandant en chef des armées allemandes, le comte Dracula a juré d'anéantir l'Angleterre, tandis qu'Edgar Poe rédige les mémoires du Baron Rouge. On croise aussi Mata Hari, Kafka et même un petit caporal au front barré d'une mèche brune, qui salue en tendant le bras...
La suite du roman d'horreur Anno Dracula est dans la même veine que son prédécesseur, et se détache très nettement du Dracula de Bram Stoker. Sur fond de Première Guerre mondiale, le conflit opposant Lord Ruthven et Charles Beauregard au comte Dracula, maintenant tête pensante de l'Empire allemand, se poursuit, toujours aussi noir et sanglant.
Ce deuxième tome permet tout d'abord à l'auteur d'étoffer l'univers sombre qu'il présentait dans le livre précédent. On a toujours la présence d'un vocabulaire bien spécifique (sang-chaud, nosferatu, le Baiser des Ténèbres etc.), qui favorise clairement l'immersion dans l'histoire, et on sent bien la continuité par rapport au premier livre, notamment grâce à certaines têtes connues comme les personnages précédemment cités, ou encore Kate Reed et le sergent Dravot.
A propos des personnages, c'est probablement la plus grande réussite du livre en dehors de la fascination que suscite cet univers. On a une large galerie de protagonistes et de personnages plus secondaires, et personne ne sert vraiment « à rien » (à part peut-être l'apparition fugace d'Hitler, mais ça n'est pas dérangeant). Les nouveaux protagonistes sont vraiment agréables à suivre. J'ai beaucoup aimé suivre Edgar Poe et Ewers auprès de l'unité du Baron Rouge, l'auteur exploite vraiment bien des personnages historiques en les « vampirisant », c'est assez bluffant. L'apparition éclair de Kafka est un clin d'œil sympathique.
Du côté des Alliés, j'ai été très agréablement surpris par Edwin Winthrop. Au début, il semblait juste être là pour remplacer un Charles vieillissant, mais finalement il se détache rapidement de son chef et fait montre d'une personnalité très intéressante. Sa relation avec Kate est très bien amenée, mais se termine de façon un peu frustrante. C'est très appréciable de constater son évolution quand il est sous l'emprise d'Albert Ball et qu'il devient obsédé par le Baron Rouge, par ailleurs. On sent bien qu'il est en conflit avec lui-même, à la limite entre le vampire et le sang-chaud. Kim Newman détaille d'ailleurs très bien les deux conditions ; les vampires ne sont finalement pas plus heureux que les humains ordinaires et sont tout aussi vulnérables sous certaines conditions.
Tout un paquet de références littéraires ou cinématographiques sont incluses dans le roman. Si ça peut sembler inutile, ça peut faire plaisir à ceux qui connaissent, comme ç'a été mon cas. Retrouver, même très rapidement, certains personnages comme Gatsby le magnifique, le Dr. Mabuse des films de Fritz Lang, le Herbert West de Lovecraft, et même une allusion à Bram Stoker fait toujours sourire, et prouve l'aisance de l'auteur à mélanger réalité et fiction.
En parlant de réalité et de fiction, la façon dont les deux interagissent est très intelligente. Des faits réels comme l'offensive de printemps des Allemands se mélangent à de la fiction pure et dure ; la métamorphose du groupe d'aviateurs allemands, l'assaut de Dracula avec son dirigeable... Et ça marche ! Ça pourrait donner lieux à de grosses incohérences, mais ce n'est pas le cas. Tout est maîtrisé de telle façon que ça ne paraît pas aberrant, à l'exception du surnaturel, évidemment.
Ce qui m'a le plus embêté dans le tome précédent est toujours là ; les descriptions crues de certaines scènes parfaitement violentes sont assez écœurantes, notamment le passage où Charles et Winthrop se rendent au théâtre pour assister au spectacle de la vampire Isolde. C'est répugnant, mais ça exerce en même temps une sorte de fascination. On se rend pleinement compte des pouvoirs des vampires et ça ne les rend que plus terrifiants, même si certains sont vraiment sympathiques et qu'on a du mal à les assimiler à des monstres.
Au niveau du style d'écriture, c'est toujours très fluide, rien à signaler si ce n'est que c'est agréable à lire et que les dialogues sont vraiment bien menés.
Dans l'ensemble, j'ai beaucoup plus apprécié ce tome-là que le précédent ; sans doute car les personnages sont un peu plus creusés — j'avais par exemple eu du mal à cerner Geneviève dans
Anno Dracula. La violence et les scènes qui mettent mal à l'aise sont toujours là, mais paraissent mieux servir l'intrigue et développer les personnages, du moins est-ce mon sentiment suite à cette lecture. Ça en fait donc un nouveau coup de cœur littéraire ; en espérant qu'il en sera de même pour le troisième tome !
Coup de ♥